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LA DOULEUR, UNE COMPOSANTE DU HAUT NIVEAU… POUR LE BIEN ET LE MAL


Si la pratique du sport de haut niveau induit un seuil de résistance élevé, les athlètes d’élite doivent malgré tout composer avec la douleur tout au long de leur carrière, à différents niveaux d’intensité. Des stratégies de traitement et d’accompagnement, médicales mais aussi scientifiques, peuvent être mises en œuvre pour les aider à la gérer et la surmonter.


C’est une compagne du quotidien, qu’ils doivent sans cesse gérer, apprivoiser, repousser, voire dominer, mais avec laquelle ils ont appris à composer. Les rugbymen parlent même d’elle comme leur « meilleur copain ». « Quand on est sportif de haut niveau, on sait qu’on va souffrir, dans tous les sens du terme, rigole Hélène Lefebvre, la championne d’Europe d’aviron en deux de couple. Ce n’est pas un hasard si on dit souvent que performance rime avec souffrance. » La pratique intensive du sport expose les athlètes à la douleur, tant sur le plan physique que psychique. Définie par l’International association for the study of pain comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle », elle peut tout aussi bien être le signe de simples courbatures, résulter de la persistance d’une blessure plus grave ou de l’inflammation qui en est la cause, ou encore être la conséquence d’une maladie. « Qu’elle que soit son origine, la douleur est un signal d’alarme qu’il faut savoir écouter et comprendre », note Anne Claire Macquet, chercheure en psychologie appliquée au sport de haut niveau à l’INSEP. Sauf qu’il n’existe pas une, mais des douleurs - aigüe, chronique, physique, psychologique, nociceptive, neuropathique ou nociplastique, psychogène, fonctionnelle, dysfonctionnelle… - qui peuvent se distinguer en fonction de divers critères, notamment leur durée et leur origine. Selon Allan Basbaum et David Julius, tous deux professeurs au Département d’anatomie de l’Université de Californie à San Francisco, « la douleur naît le plus souvent à la périphérie, dans la peau, un organe interne ou tout autre site en dehors du système nerveux central (le cerveau et la moelle épinière). Des cellules nerveuses, nommées nocicepteurs, réagissent spécifiquement aux stimuli endommageant les tissus, tels que les températures extrêmes (chaud ou froid), la pression mécanique et des substances chimiques, qu’elles soient externes ou produites lors d’une inflammation. » L’organisme, via les fibres qui innervent la totalité de la peau et des organes, envoie un signal électrique au cerveau pour le prévenir qu’une lésion vient d’avoir lieu ou est imminente.


UNE EXPÉRIENCE SUBJECTIVE

La douleur n’est pourtant pas toujours associée à une lésion tissulaire manifeste. Elle peut également être provoquée et/ou intensifiée par le stress, les facteurs psychosociaux, un dysfonctionnement du système nerveux et surtout, elle reste une expérience subjective. « Chaque athlète possède son propre seuil de tolérance à la douleur, en fonction de ses expériences, sa sensibilité, le contexte au sein duquel il évolue, son niveau d’entraînement, alors qu’à la base, les récepteurs à la douleur sont les mêmes d’un individu à l’autre, affirme Nicolas Cazoulat, masseur-kinésithérapeute au sein du pôle médical de l’INSEP.


Une normalité de la douleur peut même s’instaurer dans certaines disciplines

Par exemple, un coureur cycliste va être capable de souffrir sur le long terme dans les épreuves d’endurance, car il se prépare pour cela toute l’année, alors qu’un boxeur trouvera cette douleur insupportable. En revanche, si ce cycliste prend le même coup qu’un boxeur dans un combat, il ne la supportera pas, car il n’est pas habitué aux impacts. L’entraînement apprend au sportif à repousser ses limites, mais c’est la capacité à se sublimer dans la douleur qui fait un champion. » Une normalité de la douleur peut même s’instaurer dans certaines disciplines, notamment les sports de combats ou de contacts. Elle peut être parfois aussi valorisée, voire recherchée.


UNE APPROCHE MULTIMODALE

Si différentes études menées par des scientifiques ont confirmé que les athlètes toléraient mieux la douleur que des individus sédentaires, une prise en charge adaptée doit être proposée pour chaque situation. La déclaration de consensus du CIO sur la gestion de la douleur chez les athlètes de haut niveau émet dans ce sens des recommandations visant à harmoniser les pratiques et à promouvoir une approche multimodale de cette problématique. Selon le CIO, « l’utilisation importante d’antalgiques et d’anti inflammatoires lors de compétitions de haut niveau montre combien la douleur est un aspect important de la vie des sportifs. Plusieurs sondages auprès des médecins du sport en charge d’athlètes de haut niveau ont montré que ces médicaments ne sont pas uniquement prescrits pour traiter la blessure et diminuer la douleur ressentie, mais également pour poursuivre la pratique sportive, voire prévenir des douleurs qui pourraient survenir à l’effort. » Face aux limites et aux dangers de la pharmacologie, qui peut présenter des risques d’addiction, d’autres méthodes peuvent être mises en œuvre. « La prise en charge non pharmacologique de la douleur doit même être envisagée dès les premiers stades de la douleur, soutient Sébastien Le Garrec, le responsable du pôle médical de l’INSEP. Comme le préconise le CIO, l’éducation du patient joue un rôle primordial, non seulement pour la compréhension de l’origine multifactorielle de la douleur mais aussi pour optimiser la compliance au traitement. » L’INSEP propose ainsi des actions d’accompagnement, de conseils et un circuit de prise en charge pour aider les athlètes, confrontés à la douleur, à la juguler : interrogatoire à la recherche de symptômes, examen clinique effectué par le médecin et le kinésithérapeute analysant le déficit fonctionnel, soins de kinésithérapie, balnéothérapie, cryothérapie, accompagnement psychologique, réathlétisation…


« Ce qui va nous intéresser en tant que soignant, c’est le facteur déclenchant de la douleur, indique Nicolas Cazoulat. Par exemple, en tant que kinésithérapeute, je ne soigne pas les douleurs, mais j’identifie les problèmes mécaniques liés à cette douleur. Et je privilégie ensuite des techniques actives utilisées centrées sur le mouvement, le renforcement musculaire selon les différentes filières énergétiques et la correction des facteurs biomécaniques contribuant à la douleur. » Plus que la douleur, la « souffrance » (l’interprétation et la représentation que l’on se fait de sa douleur) peut également être gérée grâce à différentes techniques de régulation cognitive et émotionnelle. « La douleur a des dimensions cognitives, affectives, comportementales, précise Anne-Claire Macquet, qui développe un projet de recherche sur la gestion de la douleur post-blessure. Elle peut déclencher des émotions, induire une forme de colère et/ou de tristesse et le sportif peut développer des sentiments d’impuissance, de frustration. Et plus ces sentiments seront importants, plus la douleur va augmenter. » « L’objectif est alors d’intervenir sur les émotions en lien avec la douleur, grâce par exemple à la relaxation, la méditation de pleine conscience, l’imagerie mentale, qui vont permettre de changer les schémas de pensée ou faire accepter certaines difficultés », explique Alexis Ruffault, chercheur en psychologie appliquée au sport de haut niveau à l’INSEP. « L’atténuation de la douleur peut être appréhendée par l’utilisation de la technique d’imagerie, confirme Claire Calmels, chercheure en neurosciences appliquées au sport de haut niveau à l’INSEP. Le ou la sportif(ve) peut par exemple être invité(e) à imaginer des scènes plaisantes telles que se détendre, se relaxer dans un endroit agréable, sur une plage de sable blanc sous les cocotiers, ou être avec son (sa) petit(e) ami(e). Cette simulation réduira l’activité du système nerveux sympathique et la tension musculaire, ce qui aura pour conséquence de diminuer les influx douloureux et induira un effet apaisant. L’athlète a également la possibilité d’attribuer à la douleur un certain nombre de caractéristiques de taille, de forme, de couleur, de mouvement afin de créer une représentation métaphorique ayant du sens pour lui/elle. Il ou elle peut, par exemple, imaginer la douleur quitter son corps, en visualisant un puissant jet d’eau éjecter cette douleur ou encore « voir dans sa tête » des couleurs froides soulageant et réduisant l’inflammation. Le fait de se concentrer sur les informations sensorielles douloureuses produira une dissociation émotionnelle ce qui atténuera la douleur. ». Pour oublier et dépasser la douleur, les sportifs développent également des stratégies de résistance personnelles. Ils se concentrent sur l’effort physique, la technique, la victoire… et repoussent leurs limites en acceptant de se faire mal pour atteindre leurs objectifs. « Est-ce d’ailleurs la réalisation d’une performance sportive qui amène la souffrance ou alors faut-il passer par la souffrance pour être automatiquement performant ?, s’interroge pour conclure Fred Grappe, directeur de la Performance dans l’équipe cycliste Groupama-FDJ (anciennement enseignant-chercheur à l’Université des Sports de Besançon).



DU CÔTÉ DU HANDISPORT

Les para-athlètes peuvent ressentir plus de douleur que leurs homologues valides, en raison d’une incidence plus élevée de blessures dans leurs sports, ou de la nature d’une déficience spécifique. Bien que la douleur ou l’inconfort chez les para-athlètes puisse être une caractéristique clinique commune, une douleur plus sévère peut survenir chez ceux qui souffrent de douleur de moignon, de membre fantôme, de douleur liée à la spasticité, ou chez les personnes ayant subi des lésions de la moelle épinière. L’utilisation d’analgésiques, en particulier ceux utilisés pour traiter la douleur neuropathique chronique, est donc plus élevée chez les para-athlètes que chez leurs homologues valides. Source : International Olympic Committee consensus statement on pain management in elite athletes I N S E P le Mag - Sciences et sport

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